Le Tueur des Musées
En ce printemps 1959, l’exposition sur les Arts Précolombiens au Musée Principal de San Francisco attira une foule importante de curieux mais aussi de passionnés. Ce matin-là, parmi les dizaines de personnes qui se massaient aux guichets, même un observateur particulièrement perspicace n’aurait pu remarquer Vernon Manewski. Celui-ci faisait partie de la grande majorité des gens que l’on oublie aussitôt les avoir vus. D’une taille un peu en dessous de la moyenne, son costume gris, acheté en confection, flottait sur son corps chétif.
En approchant de l’entrée, Manewski sourit intérieurement. A chaque fois, Il sentait monter en lui un sentiment de puissance et d’invulnérabilité. Et ce n’était certainement pas tous ces badauds autour de lui qui allaient contrarier son inéluctable destin, ces moments intenses qui brisaient sa morne existence… Parfois, il éprouvait l’envie de crier à la face du monde son secret mais il savait qu’on ne le comprendrait pas… pire, qu’on le condamnerait !
Manewski jeta un regard circulaire. Personne ne semblait le voir, comme s’il était invisible… Il n’était qu’un anonyme parmi d’autres… En effet comment aurait-on pu faire le rapprochement entre cet être insignifiant et celui que toutes les forces de police des Etats-Unis recherchaient ardemment depuis plus de cinq ans. On le surnommait « Le Tueur des Musées »… Ses victimes : des jeunes touristes qu’il attirait toujours dans un coin isolé pour les éliminer…Son arme : un fin stylet d’acier. Il frappait toujours sans laisser de traces et on le soupçonnait d’être à l’origine de huit homicides. Huit meurtres commis dans huit musées différents.
Ce jour-là, « Le Tueur des Musées » allait frapper une neuvième fois.
Son billet en poche et les grilles franchies, Manewski sentit son rythme cardiaque s’accélérer, son souffle devenir plus puissant. Ses muscles, contractés jusque là, se relâchèrent. Il se transforma instantanément en un prédateur implacable et froid. La chasse pouvait commencer.
Il s’engagea dans l’immense hall où trônaient quelques gigantesques vestiges mayas. Manewski les ignora. Il scrutait déjà la foule, à la recherche de sa proie. Il sentait le long de son bras le contact rassurant de son arme.
A cet instant, comme surgis du néant, trois hommes, vêtus de sobres costumes noirs, lui barrèrent le passage. Manewski sursauta.
-Si vous voulez bien nous suivre, monsieur… commença l’un des nouveaux venus… le directeur du musée désirerait vous voir et…
Sentant son sang se glacer d’effroi, l’interpellé réagit immédiatement. Il tourna aussitôt les talons et, sans attendre, se mit à courir en direction des portes de l’établissement, bousculant au passage quelques visiteurs surpris. Derrière lui, couvrant le brouhaha environnant, le cri de l’homme qui l’avait apostrophé claqua :
-Eh, monsieur, mais…
Manewski n’entendit pas la suite. Il allait franchir les grilles du musée lorsqu’il eut l’impression de percuter une montagne…
***
Il se retrouva au sol, sans trop savoir comment, à demi-assommé. Lorsqu’il rouvrit les yeux, ce qu’il vit le fit frémir : un véritable géant, à la carrure d’Hercule, au visage rougeaud couronné d’une crinière flamboyante. A ses côtés se tenait un grand gaillard athlétique aux cheveux brun coupés en brosse. Plus petit que le rouquin, il n’en paraissait pas moins redoutable !
-Ah ça,… explosa le colosse, est-ce une façon de bousculer les honnêtes gens ! Où courez-vous ainsi comme si vous aviez tous les démons de l’enfer à vos trousses ?
-Mon vieux Bill,… intervint le brun, cesse de ronchonner et aide plutôt ce malheureux à se relever !
Sentant le danger, Manewski, comme monté sur des ressorts, s’était déjà relevé. Trop vivement ! Son arme glissa de sa manche et heurta le sol de marbre dans un sinistre bruit métallique.
-Mais qu’est-ce que c’est que ce truc ?... Mon gaillard, va falloir nous expliquer !... s’exclama le rouquin en posant sa puissante main sur l’épaule de l’individu.
Déjà, les trois hommes en noir arrivaient. Manewski sut à cet instant que son destin de chasseur prenait fin. Il se baissa, se mit sur les genoux et croisa les mains sur sa tête, comme un enfant pris en faute.
***
-Il n’y a pas de doute possible… Cette nuit, Vernon Manewski est passé aux aveux complets. « Le Tueur des Musées » ne frappera plus, dit Douglas Stanford, le chef de la police de San Francisco.
Il s’adressait aux deux hommes qui se tenaient face à lui, dans son bureau : le géant roux, Bill Ballantine, et le grand brun, Bob Morane.
-On peut dire, commandant Morane, que vous vous trouvez toujours là où il le faut… continua Stanford.
-Oh, par pur hasard, coupa Morane… Une escale à Frisco, une visite à ce musée sur les conseils de notre ami Clairembart… Voilà… Et il faut plutôt remercier Bill… C’est à lui que revient tout le mérite…
Ballantine écarta les bras en signe de protestation, faisant craquer la chaise sous son poids.
-Mais, commandant, je n’y suis pour rien… Pas ma faute si cet olibrius m’a percuté… Je n’allais quand même pas me laisser marcher dessus !
Bob réprima un sourire à l’image du frêle Manewski « bousculant » le géant.
-Mais vous ne nous avez pas dit comment les vigiles du musée avaient repéré le tueur dans la foule, remarqua Morane en tournant son regard gris vers Stanford.
Ce dernier parut amusé par la demande du Français.
-Ce n’est qu’un hasard… comme il n’en existe que dans les romans ! Hier, le Musée Principal vivait un événement particulier et le directeur avait décidé de le fêter avec fastes… Figurez-vous, que le 100 000ème visiteur a franchi les grilles dans la matinée et que cet honneur est tombé sur… Manewski ! Les trois vigiles qui l’ont interpellé étaient chargés de le conduire dans la salle de réception où un grand banquet était dressé ! Avouez que le destin est parfois capricieux et inattendu !
FIN